Ceux d’entre nous qui ont étudié au cours de leur carrière la consommation de substances (partant du principe que toute consommation n’est pas forcément malsaine), ou à travailler avec ceux qui font un usage non médical de Stéroïdes Androgènes et d’Anabolisants (SAA), ont depuis longtemps cessé d’être surpris par la partialité des médias et de la communauté scientifique contre les SAA et leurs consommateurs. Il est coutume de donner aux consommateurs de SAA une image négative. Par conséquent, le message général transmis au public est que ces consommateurs sont narcissiques, qu’ils souffrent du «complexe d’Adonis» et de dysmorphie musculaire (communs à tous les culturistes et tous ceux qui se soucient de leur apparence physique), que ce sont des toxicomanes qui dépendent des SAA, qu’ils souffrent de plusieurs psychopathologies, qu’ils ont des déficits cognitifs et qu’ils peuvent exploser à tout moment dans des accès de rage meurtrière. Sans oublier surtout que ces consommateurs de SAA sont des «tricheurs» qui utilisent des drogues pour repousser les limites que la nature a imposées. Incompréhensible!
Mais attendez… Comment concilier cette indignation hypocrite avec le fait que l’Amérique est devenue une nation d’ «améliorateurs de performance »? Lorsqu’il s’agit d’améliorer la performance académique ou intellectuelle, l’utilisation de produits stimulants a été acceptée comme étant un moyen de favoriser la réussite scolaire et d’améliorer la performance cognitive afin de réaliser son plein potentiel. Il ne s’agit plus seulement d’améliorer les résultats, mais de prendre n’importe qui à n’importe quel niveau et d’augmenter ses performances. Régulièrement à la télévision, des publicités informent les hommes qu’ils n’ont pas à vivre avec le déclin naturel de la fonction érectile que nos pères ont enduré, que cela «peut être un problème de circulation sanguine » et qu’il existe un médicament pour y remédier « le moment venu ». On dit aux femmes qu’elles n’ont plus besoin de subir l’aspect de leur peau lié à l’âge, et qu’elles peuvent retrouver une certaine jeunesse sous les mains expertes d’un chirurgien. Nous n’avons plus à subir notre âge. La liposuccion et autres techniques de modelage peuvent redessiner hanches et abdominaux. Les implants qui peuvent remodeler et agrandir mollets, pectoraux, fesses et seins, sont maintenant acceptés comme moyen pour repousser les limites naturelles. Les stimulants sur ordonnance qui peuvent améliorer la concentration sont recherchés par les parents et les élèves, et sont de plus en plus prescrits par les médecins. En fait, nous avons une culture d’amélioration; paradoxalement… étant donné le parti pris contre les SAA, et même la testostérone – premier des SAA – vendue à la télévision sous forme de produit à frotter sur la peau ou à tamponner sous le bras pour ne plus subir le déclin hormonal qui se produit naturellement avec l’âge. L’augmentation mammaire, l’amélioration des performances sexuelles, et l’amélioration cognitive, sont tous nourris par le rêve américain d’être et d’avoir ce qui est meilleur, mais ils ne font cependant pas partie de l’agenda américain. Clairement, certains objectifs et méthodes de réalisation de notre plein potentiel sont plus acceptés que d’autres.
Une étude récente (1) a comparé les jugements portés sur les personnes qui utilisent des produits dopants dans deux domaines différents : le domaine sportif et le domaine universitaire. Les chercheurs ont noté des similitudes entre l’abus de stimulants prescrits et l’utilisation abusive de SAA. Dans les deux cas, un produit à usage médical légitime est utilisé de façon abusive pour obtenir un avantage concurrentiel. Cependant, les chercheurs ont émis l’hypothèse qu’un athlète qui prend un anabolisant sera jugé plus tricheur qu’un élève qui a utilisé un produit pour améliorer sa performance et réussir. Ils ont également émis l’hypothèse que l’utilisation d’un stimulateur de la performance est considérée comme plus nécessaire à la réussite de l’athlète qu’à celle de l’étudiant. Environ 1.200 étudiants masculins de première année universitaire ont été recrutés pour répondre à un questionnaire comprenant deux scénarios. Un scénario décrit un athlète abusant des SAA pour réussir dans une course de championnat, tandis que l’autre décrit un étudiant abusant d’Adderall pour réussir ses examens de milieu d’année. Comme prévu, les participants ont estimé que l’athlète a été plus tricheur que l’étudiant. Cependant, contrairement à l’hypothèse, les participants ont estimé que l’Adderall est plus nécessaire à la réussite des étudiants que ne le sont les SAA pour les athlètes. Donc, pour les consommateurs de SAA, les nouvelles sont toutes mauvaises: les consommateurs de SAA sont considérés non seulement comme de plus gros tricheurs, mais comme ayant moins de besoin et de justification pour l’utilisation de ces produits.
Moins de 1% de l’échantillon a déclaré avoir déjà utilisé des SAA, tandis qu’environ 8% de l’échantillon a déclaré avoir utilisé un stimulant (à prendre sous prescription) sans ordonnance au cours des 12 mois précédents. Les chercheurs ont constaté que leur utilisation de stimulants (à prendre sous prescription) sans ordonnance est corrélée avec l’augmentation de la perception des consommateurs de SAA comme des tricheurs. En d’autres termes, la familiarité engendre l’acceptation. Les gens acceptent ce qui leur est familier et veulent en justifier leur utilisation continue. L’hypocrisie d’une telle position est évidente.
L’étude confirme notre observation : ceux qui utilisent des substances pour améliorer leurs performances physiques sont considérés plus négativement que ceux qui utilisent des drogues pour améliorer leurs performances cognitives. Si nous souhaitons comprendre les causes de ce préjugé ; la raison pour laquelle les Américains voient les consommateurs de produits dopants physiquement comme des tricheurs à part et les traitent comme des parias narcissiques, alors nous avons besoin d’aller au-delà du parti-pris des médias et de la science. Il y a eu dernièrement un nombre plus important d’articles dans la presse scientifique qui parlent de pathologie chez les consommateurs de SAA. Certains chercheurs semblent avoir mensuellement une nouvelle étude mettant en évidence une autre raison d’avoir peur, très peur, des SAA et de leurs consommateurs. Après tout, qu’ont-ils ces gens à vouloir être plus massifs, plus secs, et à se raser le corps? Qui sont ces imposants et effrayants individus sans poil? Nos propres recherches faites sur les caractéristiques des consommateurs de SSA ont révélé des résultats surprenants à ce sujet : ce ne sont en fait que des personnes tout à fait ordinaires qui cherchent à s’améliorer.
Les chercheurs qui étudient le comportement humain, en particulier dans les cas à implications politiques et morales (et financières), abordent souvent de telles questions avec certaines hypothèses. En tant qu’êtres humains étudiant d’autres êtres humains, elles ne sont pas toujours faciles à éviter et cela nécessite un degré d’objectivité qui est parfois difficile à avoir. Par exemple, lorsqu’il s’agit des SAA, de nombreux chercheurs commenceront par supposer que toute utilisation est un abus, ou feront rarement – si jamais – la différence entre l’usage, l’abus et la mauvaise utilisation des traitements. Ils interprèteront ensuite les résultats à la lumière de ces hypothèses. Exemple typique: un petit pourcentage de personnes utilisant des SAA peut présenter une certaine augmentation des comportements hypomaniaques, un petit pourcentage similaire peut présenter une augmentation de l’agressivité telle que mesurée par des tests de laboratoire analogiques (bien que l’on constate généralement que les observateurs ne signalent aucune augmentation de ce type). L’interprétation de ce résultat dans la presse résume toujours à devenir «Les SAA causent de l’agressivité ». En tant que scientifiques du comportement humain, nous nous devons de poser la question suivante : et qu’en est-il des autres 99% des consommateurs qui n’en sont pas affectés? Pourquoi pas eux? Apparemment, ils ne sont pas importants aux yeux des fauteurs de troubles.
Il est également clair que cette partialité dans l’opinion publique (qui lit rarement, voire jamais, la presse scientifique) reflète la présentation biaisée des médias sur l’utilisation des produits améliorant le physique ou la performance physique. Il est intéressant de noter que bien que l’attitude envers la consommation de marijuana est devenue plus modérée jusqu’à atteindre l’acceptation juridique dans certains domaines, les SAA continuent à représenter le mal dans l’esprit du public. Cela résulte peut-être du fait que la consommation de marijuana est suffisamment répandue, contrairement à l’utilisation des SAA qui est si rare auprès du public ; la plupart des gens n’ont jamais à leur connaissance rencontré un consommateur de SAA. Lorsqu’il s’agit de marijuana, le public a appris à reconnaitre les idioties qu’on lui débite, et peut donc savoir lorsque les scientifiques essaient de l’induire en erreur. Mais dans le cas des SAA, sa seule source d’information est souvent les médias férus de citations abstraites sensationnelles, qui mettent en avant ou qui inventent même parfois des cas franchement incroyables. Par conséquent, beaucoup de gens ayant pris connaissance de la tragédie de Chris Benoit ne pourront associer à cette affaire que les stéroïdes, peu ont entendu parler d’autres causes plus probables de son comportement, comme par exemple une encéphalopathie traumatique chronique.
Ceux d’entre nous qui ont longtemps étudié l’usage de médicaments et l’histoire de la consommation de drogue dans notre pays, voient immédiatement un parallèle entre cette approche et les préjudices créés au sujet de la marijuana dans les années 1930 : Des scientifiques cherchent des résultats négatifs présumés et utilisent leurs conclusions pour etayer davantage leurs préjugés. D’autres chercheurs citent ces résultats comme des faits et s’y appuient pour envoyer des résultats biaisés à la presse. Ensuite les médias populaires les utilisent et poussent la polémique en donnant les exemples les plus irresponsables et sensationnels (2). Ils en créent des images déformées et les présentent comme la norme, comme une réalité, en capitalisant sur la relative ignorance des lecteurs en ce qui concerne les faits. Ces articles de vulgarisation scientifique sont ensuite cités par d’autres, et le cycle infernal continue. Cela a malheureusement un impact négatif, plus particulièrement sur le fait que les consommateurs de SAA en sont venus à se méfier à la fois des médias et de la médecine, et pourraient par conséquent être moins enclins à recevoir des soins préventifs. En vérité, nous espérons que tous ces préjudices accumulés au cours des ans subiront un jour le même ridicule que l’hystérie passée concernant la marijuana.
Notes :
- Dodge, T., Williams, K.J., Marzell, M., & Turrisi, R. (2012) Cheaters: Is Substance Misuse Viewed Similarly in the Athletic and Academic Domains? Psychology of Addictive Behaviors, 26, 3, 678–682.
- Voir par exemple l’histoire ridicule présentée dans « Business Insider » (http://www.businessinsider.com/juicer-explains-anabolic-steroid-use-in-florida-2012-12), où sont décrits en détail les exploits absurdes de « Joey O » ; qui doit être un mauvais consommateur de stéroïdes incroyablement ignorant, ou bien un plaisantin plein d’imagination dont les exagérations fantaisistes ont joué un tour au journaliste naïf qui était trop avide de sensationnel.
Article original publié le 13 janvier 2013 par Jack Darkes, PhD, Rick Collins, JD, Dan Gwartney, MD, and Jason Cohen, PsyD.
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