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Ce devait être le traitement miracle pour les enfants trop petits: 111 d'entre eux sont morts après avoir reçu, entre 1982 et 1986, des injections de produits contaminés. A qui la faute? Au terme d'une instruction fleuve, plusieurs personnalités du monde médical vont être jugées à Paris.
Comment a-t-on pu traiter des enfants avec des hormones de croissance contaminées entre 1982 et 1986? Savait-on qu'ils étaient susceptibles de contracter ainsi la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ)? Pourquoi n'avoir rien dit aux familles? C'est autour de ces trois questions clefs que devrait tourner, quatre mois durant, le procès prévu le 6 février devant le tribunal correctionnel de Paris
Ces enfants, de petite taille ou atteints de nanisme, s'étaient vu prescrire une hormone de croissance extraite d'hypophyses (une glande située à la base du cerveau) humaines. Ce médicament, considéré à l'époque comme «miracle», devait leur permettre de grandir à peu près normalement. Sauf qu'il était produit dans des conditions douteuses, sans souci des risques de contamination. Certains jeunes en sont morts (111 à ce jour). D'autres se demandent si la MCJ ne couve pas en eux.
Hormone de croissance. Chez l'enfant, le déficit de cette hormone produite dans le cerveau se traduit par une taille inférieure à la moyenne. Aujourd'hui, cette anomalie peut être corrigée par des injections d'hormone de synthèse.
Hypophyse. Cette petite glande située à la base du cerveau produit cinq hormones différentes. Au début des années 1980, on prélevait des hypophyses sur des cadavres pour en extraire l'hormone de croissance.
Maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ). Pathologie cérébrale rare et mortelle, la MCJ se manifeste par des troubles de l'équilibre et des mouvements anormaux. Elle évolue vers la démence. La maladie est due à un agent infectieux particulier, le prion, transmis par l'alimentation (notamment la consommation de «vache folle») ou des injections d'hormone de croissance contaminée.
Ce procès sera avant tout celui d'un mandarinat arc-bouté sur ses certitudes. Erigeant le secret en dogme. Oubliant qu'un patient jouit d'un droit sacré, celui d'être informé sur les conséquences éventuelles des soins qui lui sont administrés. Faute d'avoir respecté cette règle - c'est la thèse de la juge d'instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy - une demi-douzaine de personnalités du monde médical sont poursuivies. Parmi elles, le Pr Jean-Claude Job, ex-président de France-Hypophyse, l'association chargée à l'époque de la collecte des hypophyses et du contrôle de l'attribution des hormones. Autre prévenu: Fernand Dray, ancien dirigeant d'Uria, le laboratoire qui, à l'Institut Pasteur, fabriquait l'hormone en question.
Aux côtés de ces deux hommes figurent Jacques Dangoumau, directeur de la Pharmacie et du médicament (1982-1987) au ministère de la Santé, Henri Cerceau, directeur de la pharmacie centrale de l'Assistance publique (1981-1991), et Elisabeth Mugnier, chef de la collecte des hypophyses au sein de France-Hypophyse. Tous sont poursuivis pour tromperie et homicides involontaires. Fernand Dray, aujourd'hui âgé de 87 ans, est en outre soupçonné d'avoir perçu des commissions illégales.
Pour comprendre ce dossier, il faut en fait revenir au début des années 1980. De nombreux médecins prescrivent alors la fameuse hormone, sous forme d'injections. Pour les parents, l'espoir est immense et la confiance absolue: le laboratoire Uria n'est-il pas rattaché au prestigieux Institut Pasteur?
Les hypophyses collectées dans des conditions stupéfiantes
Arnaud Honet, 15 ans, commence à suivre le traitement au début de 1982. Vient ensuite le tour de Christophe Hochedez-Prével (11 ans, 1,31 mètre, 26 kilos), de Gilles Rampnoux (14 ans, 1,43 mètre) et de centaines d'autres. De fait, ils gagnent bien quelques centimètres. Mais à quel prix? Une sommité du monde scientifique, le Pr Luc Montagnier, membre de l'Institut Pasteur, affirme qu'il y a un risque à utiliser ainsi une substance fabriquée de façon artisanale à partir d'hypophyses de cadavres. Il met en garde l'association de Jean-Claude Job contre l'utilisation du cerveau d'une personne morte d'encéphalite aiguë, de tumeur intracrânienne ou de maladie chronique du système nerveux. Mais cet avertissement n'émeut guère Fernand Dray et Jean-Claude Job: ils continuent de fabriquer et de prescrire l'hormone, tout en se gardant de répercuter aux parents les doutes de leur confrère.
A la fin de l'année 1982, l'inquiétude monte d'un cran. Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) révèle en effet que la collecte d'hypophyses dans les morgues ou les hôpitaux - le plus souvent par des employés qui arrondissent ainsi leurs fins de mois - se fait parfois dans des conditions stupéfiantes. Au CHU de Metz, elles sont extraites des cerveaux à l'aide d'un instrument de fortune créé avec un... tuyau de chauffage central (voir page 100)!
Ici et là, des voix - peu nombreuses - s'élèvent pour réclamer des éclaircissements. Le 12 décembre 1984, le Pr Jacqueline Mikol, chef du service d'anatomie pathologique de l'hôpital Lariboisière, à Paris, écrit en ce sens au Pr Job. Quelques jours plus tard, la réponse fuse, cinglante: «Dans le monde entier, des hypophyses sont collectées sans précaution particulière. [...] Les modes d'extraction de l'hormone éliminent les risques de contamination.» Des familles s'inquiètent, leurs médecins les rassurent. Aucun danger...
Fin 1984, nouvelle alerte. Venue des Etats-Unis, cette fois. En Californie, un jeune homme de 21 ans meurt de la maladie de Creutzfeldt-Jakob après avoir suivi un traitement à l'hormone de croissance extractive dans les années 1970. L'autopsie est formelle: il y a un lien entre la MCJ et l'hormone.
Les registres de distribution ont été volés
Les autorités sanitaires américaines réagissent en interdisant le recours à des hormones d'origine humaine. Quant au laboratoire danois Kabi, il stoppe toute distribution et annonce la mise sur le marché d'une hormone biosynthétique, sans risque. Plusieurs pays (Suède, Finlande, Grèce, Belgique, Pays-Bas, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) suivent l'exemple américain.
Côté français, Jean-Claude Job et Fernand Dray refusent le pragmatisme américain. Leur position est même confortée par Henri Cerceau et Jacques Dangoumau. Celui-ci, directeur de la Pharmacie et du médicament au ministère de la Santé, adresse, le 7 mai 1985, une note sans équivoque à l'association: «La qualité du système mis au point en France, la nature des produits utilisés, les garanties offertes par leur contrôle, la gravité du handicap traité justifiaient de ne pas interrompre le très remarquable travail réalisé par l'association France-Hypophyse en liaison avec la Pharmacie centrale et la Commission nationale de l'hormone de croissance.»
Le fonctionnaire fait-il preuve d'aveuglement? Veut-il juste éviter un scandale? Une certitude: vers la fin de 1985, certains médecins laissent entendre, mezza voce, que depuis trois ans plusieurs milliers d'ampoules provenant de lots contaminés ont été injectées à des patients, alors qu'elles auraient dû être rappelées.
Il faut pourtant attendre le 2 décembre 1991 pour que la justice entre enfin en jeu. Ce jour-là, un père de famille, Abdelassam Benziane, dépose plainte au nom de son fils de 15 ans, Yliassif. Traité, depuis le 3 janvier 1983, par l'hormone de croissance d'origine humaine, l'adolescent vit un calvaire depuis septembre 1989: il souffre de troubles neurologiques, de tremblements, de vertiges. Une semaine après le dépôt de la plainte, Yliassif s'éteint à Sannois (Val-d'Oise). Mais le processus judiciaire est enclenché. Il ne s'arrêtera pas.
La juge Marie-Odile Bertella-Geffroy instruit ce dossier. A bien des égards, il ressemble à celui du sang contaminé, dont elle est aussi chargée: même indifférence à l'égard des patients; même souci de rentabilité; même morgue de certains mandarins, persuadés de détenir la vérité.
La tâche de la magistrate s'annonce immense. Elle peine d'autant plus à reconstituer le cheminement des lots contaminés entre 1982 et 1986 (la période où le risque a été à son maximum) que les registres de distribution ont été volés! L'ordinateur où figurait le listing des ordonnances destinées aux malades a également disparu. En septembre 1998, Marie-Odile Bertella-Geffroy reçoit une lettre anonyme dans laquelle l'auteur indique que la destruction de pièces n'avait qu'un objectif: «Nuire à la bonne marche de l'enquête!»
Ce devait être le traitement miracle pour les enfants trop petits: 111 d'entre eux sont morts après avoir reçu, entre 1982 et 1986, des injections de produits contaminés. A qui la faute? Au terme d'une instruction fleuve, plusieurs personnalités du monde médical vont être jugées à Paris.
Comment a-t-on pu traiter des enfants avec des hormones de croissance contaminées entre 1982 et 1986? Savait-on qu'ils étaient susceptibles de contracter ainsi la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ)? Pourquoi n'avoir rien dit aux familles? C'est autour de ces trois questions clefs que devrait tourner, quatre mois durant, le procès prévu le 6 février devant le tribunal correctionnel de Paris.
Sommaire
. Témoignage: la vie en sursis de Toufik Belkhiri
. Collectes meurtrières: des témoignages accablants
Ces enfants, de petite taille ou atteints de nanisme, s'étaient vu prescrire une hormone de croissance extraite d'hypophyses (une glande située à la base du cerveau) humaines. Ce médicament, considéré à l'époque comme «miracle», devait leur permettre de grandir à peu près normalement. Sauf qu'il était produit dans des conditions douteuses, sans souci des risques de contamination. Certains jeunes en sont morts (111 à ce jour). D'autres se demandent si la MCJ ne couve pas en eux.
Mots clefs
Hormone de croissance. Chez l'enfant, le déficit de cette hormone produite dans le cerveau se traduit par une taille inférieure à la moyenne. Aujourd'hui, cette anomalie peut être corrigée par des injections d'hormone de synthèse.
Hypophyse. Cette petite glande située à la base du cerveau produit cinq hormones différentes. Au début des années 1980, on prélevait des hypophyses sur des cadavres pour en extraire l'hormone de croissance.
Maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ). Pathologie cérébrale rare et mortelle, la MCJ se manifeste par des troubles de l'équilibre et des mouvements anormaux. Elle évolue vers la démence. La maladie est due à un agent infectieux particulier, le prion, transmis par l'alimentation (notamment la consommation de «vache folle») ou des injections d'hormone de croissance contaminée.
Ce procès sera avant tout celui d'un mandarinat arc-bouté sur ses certitudes. Erigeant le secret en dogme. Oubliant qu'un patient jouit d'un droit sacré, celui d'être informé sur les conséquences éventuelles des soins qui lui sont administrés. Faute d'avoir respecté cette règle - c'est la thèse de la juge d'instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy - une demi-douzaine de personnalités du monde médical sont poursuivies. Parmi elles, le Pr Jean-Claude Job, ex-président de France-Hypophyse, l'association chargée à l'époque de la collecte des hypophyses et du contrôle de l'attribution des hormones. Autre prévenu: Fernand Dray, ancien dirigeant d'Uria, le laboratoire qui, à l'Institut Pasteur, fabriquait l'hormone en question.
Aux côtés de ces deux hommes figurent Jacques Dangoumau, directeur de la Pharmacie et du médicament (1982-1987) au ministère de la Santé, Henri Cerceau, directeur de la pharmacie centrale de l'Assistance publique (1981-1991), et Elisabeth Mugnier, chef de la collecte des hypophyses au sein de France-Hypophyse. Tous sont poursuivis pour tromperie et homicides involontaires. Fernand Dray, aujourd'hui âgé de 87 ans, est en outre soupçonné d'avoir perçu des commissions illégales.
Pour comprendre ce dossier, il faut en fait revenir au début des années 1980. De nombreux médecins prescrivent alors la fameuse hormone, sous forme d'injections. Pour les parents, l'espoir est immense et la confiance absolue: le laboratoire Uria n'est-il pas rattaché au prestigieux Institut Pasteur?
Les hypophyses collectées dans des conditions stupéfiantes
Arnaud Honet, 15 ans, commence à suivre le traitement au début de 1982. Vient ensuite le tour de Christophe Hochedez-Prével (11 ans, 1,31 mètre, 26 kilos), de Gilles Rampnoux (14 ans, 1,43 mètre) et de centaines d'autres. De fait, ils gagnent bien quelques centimètres. Mais à quel prix? Une sommité du monde scientifique, le Pr Luc Montagnier, membre de l'Institut Pasteur, affirme qu'il y a un risque à utiliser ainsi une substance fabriquée de façon artisanale à partir d'hypophyses de cadavres. Il met en garde l'association de Jean-Claude Job contre l'utilisation du cerveau d'une personne morte d'encéphalite aiguë, de tumeur intracrânienne ou de maladie chronique du système nerveux. Mais cet avertissement n'émeut guère Fernand Dray et Jean-Claude Job: ils continuent de fabriquer et de prescrire l'hormone, tout en se gardant de répercuter aux parents les doutes de leur confrère.
A la fin de l'année 1982, l'inquiétude monte d'un cran. Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) révèle en effet que la collecte d'hypophyses dans les morgues ou les hôpitaux - le plus souvent par des employés qui arrondissent ainsi leurs fins de mois - se fait parfois dans des conditions stupéfiantes. Au CHU de Metz, elles sont extraites des cerveaux à l'aide d'un instrument de fortune créé avec un... tuyau de chauffage central (voir page 100)!
Ici et là, des voix - peu nombreuses - s'élèvent pour réclamer des éclaircissements. Le 12 décembre 1984, le Pr Jacqueline Mikol, chef du service d'anatomie pathologique de l'hôpital Lariboisière, à Paris, écrit en ce sens au Pr Job. Quelques jours plus tard, la réponse fuse, cinglante: «Dans le monde entier, des hypophyses sont collectées sans précaution particulière. [...] Les modes d'extraction de l'hormone éliminent les risques de contamination.» Des familles s'inquiètent, leurs médecins les rassurent. Aucun danger...
Fin 1984, nouvelle alerte. Venue des Etats-Unis, cette fois. En Californie, un jeune homme de 21 ans meurt de la maladie de Creutzfeldt-Jakob après avoir suivi un traitement à l'hormone de croissance extractive dans les années 1970. L'autopsie est formelle: il y a un lien entre la MCJ et l'hormone.
Les registres de distribution ont été volés
Les autorités sanitaires américaines réagissent en interdisant le recours à des hormones d'origine humaine. Quant au laboratoire danois Kabi, il stoppe toute distribution et annonce la mise sur le marché d'une hormone biosynthétique, sans risque. Plusieurs pays (Suède, Finlande, Grèce, Belgique, Pays-Bas, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) suivent l'exemple américain.
Côté français, Jean-Claude Job et Fernand Dray refusent le pragmatisme américain. Leur position est même confortée par Henri Cerceau et Jacques Dangoumau. Celui-ci, directeur de la Pharmacie et du médicament au ministère de la Santé, adresse, le 7 mai 1985, une note sans équivoque à l'association: «La qualité du système mis au point en France, la nature des produits utilisés, les garanties offertes par leur contrôle, la gravité du handicap traité justifiaient de ne pas interrompre le très remarquable travail réalisé par l'association France-Hypophyse en liaison avec la Pharmacie centrale et la Commission nationale de l'hormone de croissance.»
Le fonctionnaire fait-il preuve d'aveuglement? Veut-il juste éviter un scandale? Une certitude: vers la fin de 1985, certains médecins laissent entendre, mezza voce, que depuis trois ans plusieurs milliers d'ampoules provenant de lots contaminés ont été injectées à des patients, alors qu'elles auraient dû être rappelées.
Il faut pourtant attendre le 2 décembre 1991 pour que la justice entre enfin en jeu. Ce jour-là, un père de famille, Abdelassam Benziane, dépose plainte au nom de son fils de 15 ans, Yliassif. Traité, depuis le 3 janvier 1983, par l'hormone de croissance d'origine humaine, l'adolescent vit un calvaire depuis septembre 1989: il souffre de troubles neurologiques, de tremblements, de vertiges. Une semaine après le dépôt de la plainte, Yliassif s'éteint à Sannois (Val-d'Oise). Mais le processus judiciaire est enclenché. Il ne s'arrêtera pas.
La juge Marie-Odile Bertella-Geffroy instruit ce dossier. A bien des égards, il ressemble à celui du sang contaminé, dont elle est aussi chargée: même indifférence à l'égard des patients; même souci de rentabilité; même morgue de certains mandarins, persuadés de détenir la vérité.
La tâche de la magistrate s'annonce immense. Elle peine d'autant plus à reconstituer le cheminement des lots contaminés entre 1982 et 1986 (la période où le risque a été à son maximum) que les registres de distribution ont été volés! L'ordinateur où figurait le listing des ordonnances destinées aux malades a également disparu. En septembre 1998, Marie-Odile Bertella-Geffroy reçoit une lettre anonyme dans laquelle l'auteur indique que la destruction de pièces n'avait qu'un objectif: «Nuire à la bonne marche de l'enquête!»
Mais la juge s'obstine. Grâce aux expertises - accablantes - grâce aussi aux témoignages des victimes et des agents collecteurs d'hypophyses, elle reconstitue le puzzle de l'affaire et finit par mettre en examen plusieurs pontes du monde médical.
Au cours de l'instruction, ces derniers ont réfuté avoir commis la moindre faute ou négligence. Le Pr Job a souligné qu'il avait toujours cru à l'inocuité du traitement et que tout avait été entrepris pour sécuriser les prélèvements d'hypophyses. Une analyse partagée par Fernand Dray. Il reste à savoir s'ils maintiendront cette ligne de défense lors du procès.
Les petits profits de Fernand Dray
L'un des principaux prévenus du procès, Fernand Dray (ex-directeur de laboratoire à l'Institut Pasteur), devra notamment s'expliquer sur une rémunération perçue à l'occasion d'achats d'hormones en Belgique.
En 1985, l'Institut Pasteur et la société Techland - installée à Liège - décident de mettre leurs compétences en commun pour valoriser au maximum les hypophyses humaines dans le domaine de la biologie tant clinique que médicale. L'objectif est d'obtenir des hormones de grande qualité, destinées à être vendues dans le monde entier. Aux termes de cet accord, Pasteur perçoit une rémunération de 25% du chiffre d'affaires des ventes effectuées hors de France par Techland, tandis que cette dernière a droit à 25% des ventes effectuées par Pasteur sur le territoire national.
L'activité se révèle plutôt juteuse pour l'institut, qui engrange un bénéfice de plus de 7 millions de francs entre 1986 et 1992. Jusque-là, rien à dire. Sauf que la juge Bertella-Geffroy, au cours de son instruction, découvre une curieuse convention, passée - fort discrètement - le 30 mai 1986 entre Techland et Fernand Dray: selon cet accord, ce dernier se voit attribuer le titre de conseiller scientifique de... la société belge. A ce titre, il est rémunéré sur les ventes d'hypophyses. Entre mai 1986 et fin 1992, le biochimiste perçoit ainsi plus de 340 000 francs, déposés sur un compte ouvert à son nom dans une banque belge.
Interrogé par la juge sur la réalité du travail effectué par Dray, l'un des dirigeants de Techland lâchera: «[...] M. Dray n'a eu aucun rôle actif, ni fourni aucune prestation à Techland. Je ne vois pas de justificatif à l'intéressement financier de M. Dray aux ventes d'hormones de croissance par Techland à Pasteur.»
Comment a-t-on pu traiter des enfants avec des hormones de croissance contaminées entre 1982 et 1986? Savait-on qu'ils étaient susceptibles de contracter ainsi la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ)? Pourquoi n'avoir rien dit aux familles? C'est autour de ces trois questions clefs que devrait tourner, quatre mois durant, le procès prévu le 6 février devant le tribunal correctionnel de Paris
Ces enfants, de petite taille ou atteints de nanisme, s'étaient vu prescrire une hormone de croissance extraite d'hypophyses (une glande située à la base du cerveau) humaines. Ce médicament, considéré à l'époque comme «miracle», devait leur permettre de grandir à peu près normalement. Sauf qu'il était produit dans des conditions douteuses, sans souci des risques de contamination. Certains jeunes en sont morts (111 à ce jour). D'autres se demandent si la MCJ ne couve pas en eux.
Hormone de croissance. Chez l'enfant, le déficit de cette hormone produite dans le cerveau se traduit par une taille inférieure à la moyenne. Aujourd'hui, cette anomalie peut être corrigée par des injections d'hormone de synthèse.
Hypophyse. Cette petite glande située à la base du cerveau produit cinq hormones différentes. Au début des années 1980, on prélevait des hypophyses sur des cadavres pour en extraire l'hormone de croissance.
Maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ). Pathologie cérébrale rare et mortelle, la MCJ se manifeste par des troubles de l'équilibre et des mouvements anormaux. Elle évolue vers la démence. La maladie est due à un agent infectieux particulier, le prion, transmis par l'alimentation (notamment la consommation de «vache folle») ou des injections d'hormone de croissance contaminée.
Ce procès sera avant tout celui d'un mandarinat arc-bouté sur ses certitudes. Erigeant le secret en dogme. Oubliant qu'un patient jouit d'un droit sacré, celui d'être informé sur les conséquences éventuelles des soins qui lui sont administrés. Faute d'avoir respecté cette règle - c'est la thèse de la juge d'instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy - une demi-douzaine de personnalités du monde médical sont poursuivies. Parmi elles, le Pr Jean-Claude Job, ex-président de France-Hypophyse, l'association chargée à l'époque de la collecte des hypophyses et du contrôle de l'attribution des hormones. Autre prévenu: Fernand Dray, ancien dirigeant d'Uria, le laboratoire qui, à l'Institut Pasteur, fabriquait l'hormone en question.
Aux côtés de ces deux hommes figurent Jacques Dangoumau, directeur de la Pharmacie et du médicament (1982-1987) au ministère de la Santé, Henri Cerceau, directeur de la pharmacie centrale de l'Assistance publique (1981-1991), et Elisabeth Mugnier, chef de la collecte des hypophyses au sein de France-Hypophyse. Tous sont poursuivis pour tromperie et homicides involontaires. Fernand Dray, aujourd'hui âgé de 87 ans, est en outre soupçonné d'avoir perçu des commissions illégales.
Pour comprendre ce dossier, il faut en fait revenir au début des années 1980. De nombreux médecins prescrivent alors la fameuse hormone, sous forme d'injections. Pour les parents, l'espoir est immense et la confiance absolue: le laboratoire Uria n'est-il pas rattaché au prestigieux Institut Pasteur?
Les hypophyses collectées dans des conditions stupéfiantes
Arnaud Honet, 15 ans, commence à suivre le traitement au début de 1982. Vient ensuite le tour de Christophe Hochedez-Prével (11 ans, 1,31 mètre, 26 kilos), de Gilles Rampnoux (14 ans, 1,43 mètre) et de centaines d'autres. De fait, ils gagnent bien quelques centimètres. Mais à quel prix? Une sommité du monde scientifique, le Pr Luc Montagnier, membre de l'Institut Pasteur, affirme qu'il y a un risque à utiliser ainsi une substance fabriquée de façon artisanale à partir d'hypophyses de cadavres. Il met en garde l'association de Jean-Claude Job contre l'utilisation du cerveau d'une personne morte d'encéphalite aiguë, de tumeur intracrânienne ou de maladie chronique du système nerveux. Mais cet avertissement n'émeut guère Fernand Dray et Jean-Claude Job: ils continuent de fabriquer et de prescrire l'hormone, tout en se gardant de répercuter aux parents les doutes de leur confrère.
A la fin de l'année 1982, l'inquiétude monte d'un cran. Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) révèle en effet que la collecte d'hypophyses dans les morgues ou les hôpitaux - le plus souvent par des employés qui arrondissent ainsi leurs fins de mois - se fait parfois dans des conditions stupéfiantes. Au CHU de Metz, elles sont extraites des cerveaux à l'aide d'un instrument de fortune créé avec un... tuyau de chauffage central (voir page 100)!
Ici et là, des voix - peu nombreuses - s'élèvent pour réclamer des éclaircissements. Le 12 décembre 1984, le Pr Jacqueline Mikol, chef du service d'anatomie pathologique de l'hôpital Lariboisière, à Paris, écrit en ce sens au Pr Job. Quelques jours plus tard, la réponse fuse, cinglante: «Dans le monde entier, des hypophyses sont collectées sans précaution particulière. [...] Les modes d'extraction de l'hormone éliminent les risques de contamination.» Des familles s'inquiètent, leurs médecins les rassurent. Aucun danger...
Fin 1984, nouvelle alerte. Venue des Etats-Unis, cette fois. En Californie, un jeune homme de 21 ans meurt de la maladie de Creutzfeldt-Jakob après avoir suivi un traitement à l'hormone de croissance extractive dans les années 1970. L'autopsie est formelle: il y a un lien entre la MCJ et l'hormone.
Les registres de distribution ont été volés
Les autorités sanitaires américaines réagissent en interdisant le recours à des hormones d'origine humaine. Quant au laboratoire danois Kabi, il stoppe toute distribution et annonce la mise sur le marché d'une hormone biosynthétique, sans risque. Plusieurs pays (Suède, Finlande, Grèce, Belgique, Pays-Bas, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) suivent l'exemple américain.
Côté français, Jean-Claude Job et Fernand Dray refusent le pragmatisme américain. Leur position est même confortée par Henri Cerceau et Jacques Dangoumau. Celui-ci, directeur de la Pharmacie et du médicament au ministère de la Santé, adresse, le 7 mai 1985, une note sans équivoque à l'association: «La qualité du système mis au point en France, la nature des produits utilisés, les garanties offertes par leur contrôle, la gravité du handicap traité justifiaient de ne pas interrompre le très remarquable travail réalisé par l'association France-Hypophyse en liaison avec la Pharmacie centrale et la Commission nationale de l'hormone de croissance.»
Le fonctionnaire fait-il preuve d'aveuglement? Veut-il juste éviter un scandale? Une certitude: vers la fin de 1985, certains médecins laissent entendre, mezza voce, que depuis trois ans plusieurs milliers d'ampoules provenant de lots contaminés ont été injectées à des patients, alors qu'elles auraient dû être rappelées.
Il faut pourtant attendre le 2 décembre 1991 pour que la justice entre enfin en jeu. Ce jour-là, un père de famille, Abdelassam Benziane, dépose plainte au nom de son fils de 15 ans, Yliassif. Traité, depuis le 3 janvier 1983, par l'hormone de croissance d'origine humaine, l'adolescent vit un calvaire depuis septembre 1989: il souffre de troubles neurologiques, de tremblements, de vertiges. Une semaine après le dépôt de la plainte, Yliassif s'éteint à Sannois (Val-d'Oise). Mais le processus judiciaire est enclenché. Il ne s'arrêtera pas.
La juge Marie-Odile Bertella-Geffroy instruit ce dossier. A bien des égards, il ressemble à celui du sang contaminé, dont elle est aussi chargée: même indifférence à l'égard des patients; même souci de rentabilité; même morgue de certains mandarins, persuadés de détenir la vérité.
La tâche de la magistrate s'annonce immense. Elle peine d'autant plus à reconstituer le cheminement des lots contaminés entre 1982 et 1986 (la période où le risque a été à son maximum) que les registres de distribution ont été volés! L'ordinateur où figurait le listing des ordonnances destinées aux malades a également disparu. En septembre 1998, Marie-Odile Bertella-Geffroy reçoit une lettre anonyme dans laquelle l'auteur indique que la destruction de pièces n'avait qu'un objectif: «Nuire à la bonne marche de l'enquête!»
Ce devait être le traitement miracle pour les enfants trop petits: 111 d'entre eux sont morts après avoir reçu, entre 1982 et 1986, des injections de produits contaminés. A qui la faute? Au terme d'une instruction fleuve, plusieurs personnalités du monde médical vont être jugées à Paris.
Comment a-t-on pu traiter des enfants avec des hormones de croissance contaminées entre 1982 et 1986? Savait-on qu'ils étaient susceptibles de contracter ainsi la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ)? Pourquoi n'avoir rien dit aux familles? C'est autour de ces trois questions clefs que devrait tourner, quatre mois durant, le procès prévu le 6 février devant le tribunal correctionnel de Paris.
Sommaire
. Témoignage: la vie en sursis de Toufik Belkhiri
. Collectes meurtrières: des témoignages accablants
Ces enfants, de petite taille ou atteints de nanisme, s'étaient vu prescrire une hormone de croissance extraite d'hypophyses (une glande située à la base du cerveau) humaines. Ce médicament, considéré à l'époque comme «miracle», devait leur permettre de grandir à peu près normalement. Sauf qu'il était produit dans des conditions douteuses, sans souci des risques de contamination. Certains jeunes en sont morts (111 à ce jour). D'autres se demandent si la MCJ ne couve pas en eux.
Mots clefs
Hormone de croissance. Chez l'enfant, le déficit de cette hormone produite dans le cerveau se traduit par une taille inférieure à la moyenne. Aujourd'hui, cette anomalie peut être corrigée par des injections d'hormone de synthèse.
Hypophyse. Cette petite glande située à la base du cerveau produit cinq hormones différentes. Au début des années 1980, on prélevait des hypophyses sur des cadavres pour en extraire l'hormone de croissance.
Maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ). Pathologie cérébrale rare et mortelle, la MCJ se manifeste par des troubles de l'équilibre et des mouvements anormaux. Elle évolue vers la démence. La maladie est due à un agent infectieux particulier, le prion, transmis par l'alimentation (notamment la consommation de «vache folle») ou des injections d'hormone de croissance contaminée.
Ce procès sera avant tout celui d'un mandarinat arc-bouté sur ses certitudes. Erigeant le secret en dogme. Oubliant qu'un patient jouit d'un droit sacré, celui d'être informé sur les conséquences éventuelles des soins qui lui sont administrés. Faute d'avoir respecté cette règle - c'est la thèse de la juge d'instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy - une demi-douzaine de personnalités du monde médical sont poursuivies. Parmi elles, le Pr Jean-Claude Job, ex-président de France-Hypophyse, l'association chargée à l'époque de la collecte des hypophyses et du contrôle de l'attribution des hormones. Autre prévenu: Fernand Dray, ancien dirigeant d'Uria, le laboratoire qui, à l'Institut Pasteur, fabriquait l'hormone en question.
Aux côtés de ces deux hommes figurent Jacques Dangoumau, directeur de la Pharmacie et du médicament (1982-1987) au ministère de la Santé, Henri Cerceau, directeur de la pharmacie centrale de l'Assistance publique (1981-1991), et Elisabeth Mugnier, chef de la collecte des hypophyses au sein de France-Hypophyse. Tous sont poursuivis pour tromperie et homicides involontaires. Fernand Dray, aujourd'hui âgé de 87 ans, est en outre soupçonné d'avoir perçu des commissions illégales.
Pour comprendre ce dossier, il faut en fait revenir au début des années 1980. De nombreux médecins prescrivent alors la fameuse hormone, sous forme d'injections. Pour les parents, l'espoir est immense et la confiance absolue: le laboratoire Uria n'est-il pas rattaché au prestigieux Institut Pasteur?
Les hypophyses collectées dans des conditions stupéfiantes
Arnaud Honet, 15 ans, commence à suivre le traitement au début de 1982. Vient ensuite le tour de Christophe Hochedez-Prével (11 ans, 1,31 mètre, 26 kilos), de Gilles Rampnoux (14 ans, 1,43 mètre) et de centaines d'autres. De fait, ils gagnent bien quelques centimètres. Mais à quel prix? Une sommité du monde scientifique, le Pr Luc Montagnier, membre de l'Institut Pasteur, affirme qu'il y a un risque à utiliser ainsi une substance fabriquée de façon artisanale à partir d'hypophyses de cadavres. Il met en garde l'association de Jean-Claude Job contre l'utilisation du cerveau d'une personne morte d'encéphalite aiguë, de tumeur intracrânienne ou de maladie chronique du système nerveux. Mais cet avertissement n'émeut guère Fernand Dray et Jean-Claude Job: ils continuent de fabriquer et de prescrire l'hormone, tout en se gardant de répercuter aux parents les doutes de leur confrère.
A la fin de l'année 1982, l'inquiétude monte d'un cran. Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) révèle en effet que la collecte d'hypophyses dans les morgues ou les hôpitaux - le plus souvent par des employés qui arrondissent ainsi leurs fins de mois - se fait parfois dans des conditions stupéfiantes. Au CHU de Metz, elles sont extraites des cerveaux à l'aide d'un instrument de fortune créé avec un... tuyau de chauffage central (voir page 100)!
Ici et là, des voix - peu nombreuses - s'élèvent pour réclamer des éclaircissements. Le 12 décembre 1984, le Pr Jacqueline Mikol, chef du service d'anatomie pathologique de l'hôpital Lariboisière, à Paris, écrit en ce sens au Pr Job. Quelques jours plus tard, la réponse fuse, cinglante: «Dans le monde entier, des hypophyses sont collectées sans précaution particulière. [...] Les modes d'extraction de l'hormone éliminent les risques de contamination.» Des familles s'inquiètent, leurs médecins les rassurent. Aucun danger...
Fin 1984, nouvelle alerte. Venue des Etats-Unis, cette fois. En Californie, un jeune homme de 21 ans meurt de la maladie de Creutzfeldt-Jakob après avoir suivi un traitement à l'hormone de croissance extractive dans les années 1970. L'autopsie est formelle: il y a un lien entre la MCJ et l'hormone.
Les registres de distribution ont été volés
Les autorités sanitaires américaines réagissent en interdisant le recours à des hormones d'origine humaine. Quant au laboratoire danois Kabi, il stoppe toute distribution et annonce la mise sur le marché d'une hormone biosynthétique, sans risque. Plusieurs pays (Suède, Finlande, Grèce, Belgique, Pays-Bas, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) suivent l'exemple américain.
Côté français, Jean-Claude Job et Fernand Dray refusent le pragmatisme américain. Leur position est même confortée par Henri Cerceau et Jacques Dangoumau. Celui-ci, directeur de la Pharmacie et du médicament au ministère de la Santé, adresse, le 7 mai 1985, une note sans équivoque à l'association: «La qualité du système mis au point en France, la nature des produits utilisés, les garanties offertes par leur contrôle, la gravité du handicap traité justifiaient de ne pas interrompre le très remarquable travail réalisé par l'association France-Hypophyse en liaison avec la Pharmacie centrale et la Commission nationale de l'hormone de croissance.»
Le fonctionnaire fait-il preuve d'aveuglement? Veut-il juste éviter un scandale? Une certitude: vers la fin de 1985, certains médecins laissent entendre, mezza voce, que depuis trois ans plusieurs milliers d'ampoules provenant de lots contaminés ont été injectées à des patients, alors qu'elles auraient dû être rappelées.
Il faut pourtant attendre le 2 décembre 1991 pour que la justice entre enfin en jeu. Ce jour-là, un père de famille, Abdelassam Benziane, dépose plainte au nom de son fils de 15 ans, Yliassif. Traité, depuis le 3 janvier 1983, par l'hormone de croissance d'origine humaine, l'adolescent vit un calvaire depuis septembre 1989: il souffre de troubles neurologiques, de tremblements, de vertiges. Une semaine après le dépôt de la plainte, Yliassif s'éteint à Sannois (Val-d'Oise). Mais le processus judiciaire est enclenché. Il ne s'arrêtera pas.
La juge Marie-Odile Bertella-Geffroy instruit ce dossier. A bien des égards, il ressemble à celui du sang contaminé, dont elle est aussi chargée: même indifférence à l'égard des patients; même souci de rentabilité; même morgue de certains mandarins, persuadés de détenir la vérité.
La tâche de la magistrate s'annonce immense. Elle peine d'autant plus à reconstituer le cheminement des lots contaminés entre 1982 et 1986 (la période où le risque a été à son maximum) que les registres de distribution ont été volés! L'ordinateur où figurait le listing des ordonnances destinées aux malades a également disparu. En septembre 1998, Marie-Odile Bertella-Geffroy reçoit une lettre anonyme dans laquelle l'auteur indique que la destruction de pièces n'avait qu'un objectif: «Nuire à la bonne marche de l'enquête!»
Mais la juge s'obstine. Grâce aux expertises - accablantes - grâce aussi aux témoignages des victimes et des agents collecteurs d'hypophyses, elle reconstitue le puzzle de l'affaire et finit par mettre en examen plusieurs pontes du monde médical.
Au cours de l'instruction, ces derniers ont réfuté avoir commis la moindre faute ou négligence. Le Pr Job a souligné qu'il avait toujours cru à l'inocuité du traitement et que tout avait été entrepris pour sécuriser les prélèvements d'hypophyses. Une analyse partagée par Fernand Dray. Il reste à savoir s'ils maintiendront cette ligne de défense lors du procès.
Les petits profits de Fernand Dray
L'un des principaux prévenus du procès, Fernand Dray (ex-directeur de laboratoire à l'Institut Pasteur), devra notamment s'expliquer sur une rémunération perçue à l'occasion d'achats d'hormones en Belgique.
En 1985, l'Institut Pasteur et la société Techland - installée à Liège - décident de mettre leurs compétences en commun pour valoriser au maximum les hypophyses humaines dans le domaine de la biologie tant clinique que médicale. L'objectif est d'obtenir des hormones de grande qualité, destinées à être vendues dans le monde entier. Aux termes de cet accord, Pasteur perçoit une rémunération de 25% du chiffre d'affaires des ventes effectuées hors de France par Techland, tandis que cette dernière a droit à 25% des ventes effectuées par Pasteur sur le territoire national.
L'activité se révèle plutôt juteuse pour l'institut, qui engrange un bénéfice de plus de 7 millions de francs entre 1986 et 1992. Jusque-là, rien à dire. Sauf que la juge Bertella-Geffroy, au cours de son instruction, découvre une curieuse convention, passée - fort discrètement - le 30 mai 1986 entre Techland et Fernand Dray: selon cet accord, ce dernier se voit attribuer le titre de conseiller scientifique de... la société belge. A ce titre, il est rémunéré sur les ventes d'hypophyses. Entre mai 1986 et fin 1992, le biochimiste perçoit ainsi plus de 340 000 francs, déposés sur un compte ouvert à son nom dans une banque belge.
Interrogé par la juge sur la réalité du travail effectué par Dray, l'un des dirigeants de Techland lâchera: «[...] M. Dray n'a eu aucun rôle actif, ni fourni aucune prestation à Techland. Je ne vois pas de justificatif à l'intéressement financier de M. Dray aux ventes d'hormones de croissance par Techland à Pasteur.»